Galerie virtuelle de CATHERINE TISSOT
Photo présentation

Grande par la taille et la gestuelle

Si quelqu’un ne passe pas inaperçu, c’est bien Catherine Tissot. Native de La Chaux-de-Fonds, cette ex-enseignante au look décoiffant s’adonne à sa passion picturale avec force et conviction, dans le souci de faire passer une série de messages. Attachante, parfois aussi exaltée tant elle s’investit dans son art, la grande Catherine nous narre son histoire.

Avez-vous un jour songé, chères lectrices et estimés lecteurs et surtout parents avisés et soucieux des attentes de votre progéniture, que le sol de votre appartement pourrait éveiller une vocation chez votre chérubin ? Non ? Et pourtant : « Petite, j’avais déjà le fond de la cuisine à la maison pour m’ébattre dans les couleurs », sourit Catherine, « mais j’étais d’abord une passionnée de musique classique et j’ai pratiqué le hautbois au Conservatoire jusqu’en… » Les yeux de mon interlocutrice – magnifiques par leur couleur et ce qu’ils transmettent – se brouillent, mais retrouvent bien vite leur éclat : « J’ai eu un très grave accident de moto en 1980. A ma sortie du coma, je n’ai pu que constater les dégâts : j’avais perdu toute dextérité dans la main droite et il était dès lors exclu que je poursuive ma formation musicale. Ce fut une forme de déclic et je me suis tout naturellement tournée vers la peinture. »

Comme une vocation
Entre-temps, elle était allée au bout de son idée de toujours et avait terminé son Ecole normale afin d’enseigner. Une vocation tenace, malgré l’avis de ses maîtres de dessin qui la voyaient suivre une école d’art : « Ma convalescence terminée et parallèlement à mon job d’institutrice, désireuse de renouer avec mes amours de jeunesse, j’ai pris langue avec un peintre reconnu de la région qui m’a donné quelques cours, les techniques de base de l’huile. J’ai entrepris la suite de ma quête en autodidacte, »
L’artiste opte pour la toile en premier lieu, mais expérimente aussi le carton et d’autres matériaux comme supports. Après avoir beaucoup peint à l’huile – son matériau de prédilection -, elle va passer à des techniques mixtes en introduisant l’acryl dans ses compositions : « L’acryl est intéressante pour des questions de rapidité dans le séchage, en fonction surtout des exigences lors de certaines expositions ou concours. Hors de ce contexte, je garde l’acryl pour le fond et je peins le reste à l’huile. J’aime aussi beaucoup intégrer de la feuille d’or » ajoute-t-elle tandis que s’évanouissent les volutes de fumée de sa cigarette dans l’azur.

Un message onirique
Cette friande, voire gourmande de couvre-chefs pour le moins originaux – il suffit d’observer le regard des autres et de prêter oreille aux commentaires souvent admiratifs - n’aime pas les étiquettes quant à son style et aux mouvements qu’elle imprime à son pinceau : « Ce que j’aime, c’est l’élément onirique, c’est-à-dire suggérer les choses, me trouver entre le réel et l’abstraction. L’onirisme intervient dans les parties abstraites et on peut, petit à petit, percevoir certaines choses. Question teintes, je privilégie actuellement le bleu outremer. C’est la couleur de l’insondable, de ce qui nous permet d’aller le plus loin avec les yeux. Peut-être l’habitude qu’on a avec le ciel ou la mer. Dans mes œuvres, je travaille beaucoup avec la gestuelle. Elle n’est pas seulement physique, mais aussi retenue. Au-delà de l’aspect onirique, j’aimerais aussi faire transparaître le côté sacré de toutes choses. C’est pour le côté spirituel que je cherche certaines transparences. Il n’est pas rare que j’intègre de l’or parce que c’est une matière noble qui donne son caractère précieux à l’onirique et au spirituel. »
On a pour habitude d’imaginer l’artiste tel un ermite solitaire face à sa toile, en proie à un accouchement pénible, douloureux, confronté à cette œuvre qui peine à prendre forme, à se concrétiser devant ses yeux. Nombre de peintres, musiciens et autres sculpteurs qui ont précédé la génération actuelle ont vécu dans la misère, à tirer le diable par la queue, ne serait- ce que pour l’obtention d’un quignon de pain. Mais aujourd’hui n’est plus hier : « J’aime Paris, y faire les grands salons comme Le Grand Palais ou Le Carrousel du Louvre. J’ai aussi eu l’occasion d’exposer en différents endroits en Suisse romande, Genève en particulier. J’apprécie les expositions collectives car cela donne la possibilité de connaître d’autres artistes, de voir ce qu’ils font et d’en discuter. La relation directe avec le public me paraît également primordiale et c’est aussi l’occasion pour d’éventuels contacts avec des galeries, pour pouvoir montrer mes œuvres à des endroits différents. Reste qu’une expo collective est beaucoup plus amicale, conviviale que ce qu’on peut vivre dans le cadre confiné d’une galerie. A ce propos, il devient de plus en plus difficile d’y pendre des cimaises en raison des tarifs exigés et du pourcentage que prennent les galeristes sur chaque œuvre vendue. »

Une autre piste
Forte de cette certitude, Catherine expose désormais le plus souvent dans des lieux publics (Passage Place Pury) ou dans des entreprises, bureaux ou collèges (Les Forges, La Chaux-de-Fonds) qui veulent bien l’accueillir. Soucieuse de diversifier son art, elle pratique depuis quelques années celui des icônes, parfois seule, mais aussi avec une collègue, Madeleine Pagot. Elle a entrepris avec elle la mise sur pieds de ce qu’elle nomme des installations : « On y consacre une ou deux semaines parce qu’il faut vraiment avoir un laps de temps très grand devant soi et être dans un certain état d’esprit. On doit en effet pouvoir travailler pendant qu’il fait jour, donc commencer très tôt, ne pas finir trop tard et être dans un .état d’esprit serein pour faire des icônes. »
Pour avoir vu les œuvres de cette Chaux-de-Fonnière hors norme, il y a maintenant un peu plus de vingt ans, et avoir redécouvert son œuvre actuelle, une dernière question me brûle les lèvres : son accident aurait-il joué un rôle dans sa démarche ? « Dans mes premiers tableaux, j’étais très coloriste. C’était plutôt une peinture épaisse et non transparente. Si je me suis orientée vers la voie de la transparence, mon accident y est pour quelque chose. J’ai de plus en plus ressenti la nécessité, à mesure que s’écoulaient les semaines et les mois, d’aller à l’essentiel. Quand je suis sortie du coma, j’ai réalisé que je n’avais pas toujours vécu ce que j’aurais voulu vivre vraiment. Par la suite, je suis devenue de plus en plus moi-même et j’ai découvert en même temps que, petit à petit, je retrouvais toutes mes facultés. J’ai découvert toutes les forces qui nous entourent, qui nous guident et je leur ai été de plus en plus sensible à tel point que j’ai atteint une certaine sérénité. Par ce que j’exprime, justement, j’aimerais que le visiteur ressente cette sérénité, qu’il ressente ce bien-être, qu’il ressente l’amour qui est autour de nous ! »
Un vœu pieux que l’on espère être exaucé pour celle et celui qui déciderait de s’attarder parmi les œuvres de celle que je me permettrai de nommer « la grande Catherine ». Da tovarich, da.

Alain Sunier